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CONTRÔLE D’IDENTITE DISCRIMINATOIRE : LA CEDH REMONTE LES BRETELLES A LA REPUBLIQUE

Le 01 août 2025
CONTRÔLE D’IDENTITE DISCRIMINATOIRE ET TITRE DE SEJOUR

Aux termes des dispositions de l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 : « Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays ».

La liberté d’aller et venir est donc un droit protégé par les textes qui régissent la République française ; de sorte que dans un espace public, tout citoyen peut circuler librement sans faire l’objet d’aucun contrôle.

Toutefois, cette liberté, comme beaucoup d’autres d’ailleurs, connait des limites prévues par la loi : d’où la question du contrôle d’identité.

Le contrôle d’identité est une opération par laquelle une personne doit justifier sur le champ et par tout moyen de son identité sur demande d’un officier de police judiciaire ou d’un agent de police judiciaire. Une telle opération a pour cadre légal les dispositions de l’article 78-1 à 8 du code de procédure pénale. Ainsi, l’article 78-1 de ce code établit par exemple que : « Toute personne se trouvant sur le territoire national doit accepter de se prêter à un contrôle d'identité effectué dans les conditions et par les autorités de police visées aux articles suivants. »

Les contrôles d’identités peuvent être judiciaires. Dans ce cas, le contrôle d’identité est effectué lorsque l’individu contrôlé présente des signes manifestes correspondant au signalement d’une personne recherchée dans le cadre d’une infraction.

Le contrôle peut être « requis ». Tel est le cas lorsqu’il est demandé par le Procureur de la République dans le cadre des recherches et de la poursuite d’une infraction.

Le contrôle d’identité peut également être administratif tel que prévu par l’alinéa 8 de l’article 78-2 du code de procédure pénale. Un tel contrôle est purement préventif en ce sens qu’il vise à prévenir des troubles à l’ordre public. S’agissant de ce type de contrôle d’identité, le Conseil constitutionnel a eu la présence d’esprit d’ériger les garde-fous permettant d’éviter la violation des liberté individuelles par les officiers de police judiciaire ou par des agents de police judiciaire. Le Conseil précise dans sa décision n°93-323 DC du 5 août 1993 que l’autorité auteur du contrôle d’identité administratif doit justifier, dans tous les cas, de circonstances particulières établissant le risque d’atteinte à l’ordre public qui a motivé le contrôle.

Le contrôle d’identité peut également se dérouler aux frontières, avec pour but de vérifier le respect des obligations de détention, port et présentation des titres et documents permettant de circuler sur le territoire. Un tel contrôle peut se dérouler que dans les zones situées à moins de 20 km d'une frontière, sur une autoroute ou dans un train, au port, à aéroport, gare et zone à proximité et ne peut durer plus de 12 heures de suite dans un même lieu.

Ainsi, si le contrôle d’identité est légalement prévu, sa procédure est encadrée par les textes de la République, de sorte que l’autorité ne peut à son bon vouloir décider de procéder à un contrôle d’identité sans raison valable. Aussi, l’un des principes sacro-saints du contrôle d’identité reste l’obligation de respecter le caractère non-discriminatoire des contrôles.

Or, dans le contexte politique actuel, il semble que l’on exige des agents de police de « faire du chiffre » en matière de contrôle d’identité pouvant déboucher sur un placement en garde à vue ou en retenue. La conséquence directe est que les agents de police se retrouvent à devoir procéder à des contrôles d’identité tous azimuts. Et ceux qui sont appelés à décliner à tout bout de champ leur identité sans aucune raison valable, avec toutes les violences psychologique et morale que cela entraine, sont, non pas nécessairement des gens qui présentent un quelconque signe apparent d’intention de troubler l’ordre public, mais plutôt toute personne présentant des traits physiques d’étrangéité et plus spécialement les personnes dites non-blanches. D’où la problématique hideuse du contrôle au faciès.

Le contrôle au faciès, procédure de contrôle d'identité fondée donc sur l'apparence de la personne contrôlée, est totalement discriminatoire et donc illégale. Il viole copieusement les dispositions législatives de la République en matière de droit de l’homme : « …La loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. », précise l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; « Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, … », rappelle le code pénal français en son article 225-1 ; et la convention européenne des droits de l’homme insiste   « Toute personne jouit des droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme, quels que soient la couleur de sa peau, son sexe, sa langue, ses convictions politiques ou religieuses ou ses origines ».

Il est en conséquence tout simplement intolérable qu’en France, « terre des droits de l’homme » par excellence, que le contrôle discriminatoire puisse avoir droit de cité. Le phénomène est d’autant plus inadmissible qu’il rabaisse, humilie et dégrade psychologiquement et moralement les personnes contrôlées, d’autant plus lorsque le contrôle est associé à des palpations, du tutoiement, des agressions verbales et autres comportements non professionnels des policiers, contrevenant ainsi à l’article 3 de la convention précédemment mentionnée : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradant. »

Bien que décrié par les lanceurs d’alerte et différentes structures de lutte pour le respect des droits de l’homme, les contrôles d’identité discriminatoires, qui constituent une atteinte à la dignité humaine, ont toujours existé en France et prennent de plus en plus d’ampleur. La cible des personnes qui en sont généralement victimes sont les gens qui présentent les traits physiques d’Afrique subsaharienne, d’arabe ou d’indo-pakistanais. Ces derniers, contraints par la police de justifier leur présence régulière sur le territoire français par la présentation de leur titre de séjour en cours de validité, sont constamment victimes des contrôles au faciès.

D’ailleurs, les données résultant d’une enquête du Défenseur des Droits donnent la chaire de poule. En effet, selon cette enquête, les facteurs qui augmentent le risque d’être soumis à un contrôle d’identité sont :

  • D’avoir entre 18 et 24 ans augmente de plus de 50 % le risque ;
  • Être un homme augmente de plus de 100 % de risque par rapport aux femmes ;
  • Les jeunes hommes perçus comme noirs, arabes ou maghrébins ont 4 fois plus de risques d'être contrôlés que le reste de la population et 12 fois plus de risques d'avoir un contrôle "poussé".

C’est dire qu’en 2025 en France, être jeune homme avec les traits physiques d’un noir, d’un arabe ou d’un maghrébin te rendrait inférieur aux autres et ferait peser une certaine présomption de culpabilité ! Et pourtant, la devise n’a pas encore changé : Liberté-Égalité-Fraternité !

La situation ne semble aucunement vouloir s’améliorer. En tout cas pas sous l’ère du nouveau ministre de l’intérieur.

Celui qui a pris le relai de Gérald Moussa Darmanin au ministère de l’Intérieur, voit la cause de tous les malheurs de la France dans la seule présence sur le territoire national, d’étrangers en situation irrégulière toute tendance confondue et en a fait, son fonds de commerce électorale. Aussi lance-t-il régulièrement les policiers aux trousses des étrangers comme très récemment, lors de rafle dans les transports en commun. Objectif : déloger et conduire aux centres de retentions administratives pour rapatriement, tous les étrangers en situation irrégulière en procédant à des contrôles de titre de séjour sans répit.

Bien évidemment la cible, en toute discrimination, est connue reste le même : toute personne qui n’est pas blanche. De préférence, toute personne présentant des traits physiques d’Afrique-noire, du Maghreb, ou d’indo-pakistanais. Le dernier fait marquant sur cet état de chose reste sans aucun doute l’opération de contrôle de titre de séjour des 18 et 19 juin 2025 pour laquelle pas moins de 4 000 policiers et gendarmes ont été mobilisés pour réaliser ces contrôles au facies.

C’est d’ailleurs dans cette ambiance d’angoisse et de psychose au niveau des étrangers qu’est publiée, ce 26 juin 2025, une décision de la CEDH condamnant l’État français pour « contrôle d’identité discriminatoire ».

Il faut souligner que l’État français a déjà été condamné plus d’une fois par les juridictions nationales pour ce phénomène. À titre d’exemple, en mars 2017, alors qu’ils revenaient de Bruxelles dans le cadre d’un voyage scolaire, Ilyas, Mamadou et Zakaria, trois lycéens d’Épinay-sur-Seine sont interpelés et contrôlés par des policiers sans aucune justification à la gare du Nord devant le regard ahuri de leurs camardes et des passants. Traumatisés par ce qu’ils ont vécu, les lycéens saisissent les Tribunaux. Le 8 juin 2021, la Cour d’appel de Paris condamne l’État pour faute lourde. Elle précise dans sa décision que : « Les caractéristiques physiques des personnes contrôlées, notamment leur origine, leur âge et leur sexe, ont été la cause réelle du contrôle et mettent en évidence une différence de traitement laissant présumer l’existence d’une discrimination ».

Toutefois, la décision de la CEDH du 26 juin 2025 est quant à elle particulière dans la mesure où, cette fois-ci, la condamnation vient de l’extérieur. C’est pour la toute première fois que l’institution judiciaire supranationale se prononce sur ce phénomène très récurent en France.

Voici les faits : Courant 2011, monsieur Karim TOUIL subit trois contrôles d’identité, en l’espace de dix jours : joli score !  En juillet 2013, il s’associe à 12 autres requérants et le groupe de 13 personnes attaque l’État français en justice pour contrôle d’identité discriminatoire. La Cour d’appel donne raison à 5 personnes et 3 autres obtiennent gain de cause en cassation. Le reste du groupe va donc porter l’affaire devant la CEDH.

La juridiction européenne rend sa décision ce 26 juin 2025 dans laquelle, en ce qui concerne Monsieur Karim TOUIL, l’État a été condamné pour contrôle discriminatoire.

Dans sa décision, la Cour européenne des droits de l’homme estime qu’il n’a pas été apporté de « justification objective et raisonnable » aux contrôles subis par monsieur Karim TOUIL avant de conclure qu’il existe dans le cas de ce dernier « une présomption de traitement discriminatoire à son égard et que le gouvernement n’est pas parvenu à la réfuter ».

La décision du 26 juin est jurisprudentielle en ce qu’elle reconnait officiellement et expose clairement à la face de l’Europe, l’existence en France du contrôle discriminatoire et donc d’une forme de racisme institutionnel.

Avec une telle jurisprudence qui écorche sur le plan européen l’image de la France en ce qui concerne la protection des droits de l’homme et des libertés individuelles, la France est appelée à mettre en place des réformes en matière de contrôle d’identité. La République ne s’en portera que mieux.

Toutefois, de la prise de conscience à la volonté de réformer, il y a évidemment plus qu’un pas.

En attendant ces réformes qui viendront peut-être un jour, les contrôles discriminatoires ont encore de très beaux jours devant eux. Alors, si vous estimez en avoir été victime, n’hésitez pas un seul instant à contacter Maitre Mélody OLIBE, du haut de ses dix ans d’expérience en Droit des étrangers, qui se fera le plaisir de vous assister et vous représenter pour obtenir réparation. « Lorsque l’injustice devient loi, la résistance devient devoir », dit-on au pays de Cheick Anta Diop.