LE SILENCE DE L'ADMINISTRATION ET LES TITRES DE SEJOURS
LA DELIVRANCE D’UN RECEPISSE PENDANT L’INSTRUCTION D’UNE DEMANDE DE TITRE DE SEJOUR AU-DELA DU DELAI PREVU A CET EFFET ANNULE-T-ELLE LE REJET IMPLICITE DECOULANT DU SILENCE DE L’ADMINISTRATION ? LE CONSEIL D’ETAT REPOND PAR LA NEGATIVE.
Aux termes des dispositions de l'article L. 431-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile : " La détention d'un document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour, d'une attestation de demande d'asile ou d'une autorisation provisoire de séjour autorise la présence de l'étranger en France sans préjuger de la décision définitive qui sera prise au regard de son droit au séjour ".
Les dispositions de l’article R. 431-12 du même code dispose que : " L'étranger admis à souscrire une demande de délivrance ou de renouvellement de titre de séjour se voit remettre un récépissé qui autorise sa présence sur le territoire pour la durée qu'il précise ".
Selon les dispositions de l'article R. 431-15-1 du même code : " Le dépôt d'une demande présentée au moyen du téléservice mentionné à l'article R. 431-2 donne lieu à la délivrance immédiate d'une attestation dématérialisée de dépôt en libre. Ce document ne justifie pas de la régularité du séjour de son titulaire. Lorsque l'instruction d'une demande complète et déposée dans le respect des délais mentionnés à l'article R. 431-5 se poursuit au-delà de la date de validité du document de séjour détenu, le préfet est tenu de mettre à la disposition du demandeur via le téléservice mentionné au premier alinéa une attestation de prolongation de l'instruction de sa demande dont la durée de validité ne peut être supérieure à trois mois (...) / Lorsque l'étranger mentionné aux 2, 3 ou 4- de l'article R. 431-5 a déposé une demande complète dans le respect du délai auquel il est soumis, le préfet est tenu de mettre à sa disposition via le téléservice mentionné au premier alinéa, une attestation de prolongation de l'instruction de sa demande dont la durée de validité ne peut être supérieure à trois mois ".
Les dispositions de l’article R 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile rappelle dans ses dispositions que : "Le silence gardé par l'autorité administrative sur les demandes de titres de séjour vaut décision implicite de rejet." Selon l'article R.432-2 du même code : « La décision implicite de rejet mentionnée à R.432-1 nait au terme d'un délai de quatre mois ».
Par dérogation au premier alinéa, ce délai est de quatre-vingt-dix jours lorsque l'étranger sollicite la délivrance :
- d'une carte de séjour pluriannuelle portant la mention "passeport talent-carte bleue européenne " ;
- d'une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " salarié détaché ICT ;
- d'une carte de séjour temporaire portant la mention " stagiaire mobile ICT " ;
- d'unecarte de séjour pluriannuelle portant la mention " travailleur saisonnier " ;
- d'une carte de séjour temporaire portant la mention " étudiant " ou de la carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention " étudiant-programme de mobilité " ;
- d'une carte de séjour portant la mention " recherche d'emploi ou création d'entreprise " ;
- d'une carte de séjour temporaire portant la mention " jeune au pair " ;
- de la carte de séjour temporaire portant la mention " stagiaire ;
Ce délai est de soixante jours lorsque l'étranger sollicite la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle portant la mention " passeport talent-chercheur " ou " passeport talent-chercheur-programme de mobilité ".
Que s’est-il donc passé ?
Le tribunal administratif de Grenoble a été saisi par deux étrangers qui lui demandaient d’annuler pour excès de pouvoir une décision implicite de rejet de leur demande d'admission au séjour. Mais avant de se prononcer sur cette demande assez pertinente, le TA de Grenoble a décidé de requérir l’avis du Conseil d’Etat sur la question. « Quand le feu est à la brousse, les animaux se dirigent vers la rivière », dira Seydou BADIAN. Le TA demandait notamment au Conseil d’Etat de répondre aux 3 aux interrogations suivantes :
1- Lorsque la demande a été présentée lors d'une comparution personnelle de l'étranger en préfecture, la poursuite de l'instruction d'une demande d'admission au séjour au-delà du délai de 4 mois prévu à l'article R. 432-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est-elle de nature à faire naitre une décision implicite de rejet, quand bien même le préfet délivre et renouvelle régulièrement le récépissé prévu à l'article R. 431-12 du même code ?
2- Lorsque la demande a été présentée à l'aide du téléservice mentionné à l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la même réponse peut-elle être donnée lorsque l'instruction se poursuit au-delà du délai de 4 mois et que le préfet délivre et renouvelle régulièrement l'attestation de prolongation prévue à l'article R. 431-15-1 du code ?
3- En cas de réponse négative à cette question, existe-il un délai raisonnable au-delà duquel la poursuite de l'instruction révèle néanmoins la naissance d'une décision implicite de rejet ?
Dans un avis rendu le mardi 6 mai 2025, le Conseil d’Etat, en ses 2eme et 7eme chambre réunies, répond au TA de Grenoble en les termes que voici :
« 5. La circonstance qu'un étranger se soit vu délivrer ou renouveler un récépissé ou une attestation de prolongation de l'instruction pour une durée supérieure au délai mentionné au point 3 ou postérieurement à l'expiration de ce délai ne fait pas obstacle à la naissance ou au maintien de la décision implicite de refus née du silence gardé par l'administration au terme ce délai.
6. Compte tenu de la réponse apportée aux deux premières questions posées par le tribunal administratif de Grenoble, il n'y a pas lieu de répondre à la troisième question figurant dans la demande d'avis. »
Au-delà du délai prévu par la loi, l’instruction du dossier de demande de carte de séjour s’analyse donc en un refus déguisé même en cas de renouvellement du récépissé selon le Conseil d’Etat.
Même si l’avis du conseil d’Etat n’est que consultatif et que le TA de Grenoble n’est nullement contraint d’en tenir compte, le Conseil a fait preuve d’une certaine sagesse dans sa réponse en ce qu’elle montre clairement qu’il serait abusif de la part de l’administration de renouveler à l’infini, des récépissés à l’étranger qui sollicite dans les conditions exigées par la loi, la délivrance ou le renouvellement de sa carte de séjour.
En effet, la mauvaise foi de l’administration pourrait conduire cette dernière, parce que ne voulant pas délivrer la carte de séjour à l’étranger qui la sollicite, à se contenter de renouveler le récépissé, créant ainsi une angoisse au niveau de l’étranger qui se retrouvera dans une situation d’insécurité. Ce dernier a donc le droit, selon l’avis du Conseil d’Etat, de saisir le tribunal administratif compétent aux fins de voir annuler la décision implicite de refus de délivrance de la carte de séjour prise par l’administration à travers le silence qui peut se lire dans le renouvellement sans cesse du récépissé.
Toutefois, quand on connait le délai d’instruction inimaginablement long dans certaines préfectures, conséquence de l’insuffisance du personnel, cet avis risque tout de même de provoquer un léger grincement de dents au niveau de l’administration.
Quoi qu’il en soit, si vous pensez être dans une situation de refus implicite de la part de l’administration, n’hésitez une seconde ! « Pas besoin de piège pour attraper un animal mort » : téléphonez instinctivement au cabinet de Maître Mélody Olibé, Avocate au Barreau de Paris.
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