L’intelligence artificielle et la protection de l’enfance : nouvelles frontières du droit à l’image et de la responsabilité parentale
À l’ère des réseaux sociaux et de l’intelligence artificielle (IA), la protection de l’image et des données personnelles des mineurs devient un enjeu juridique crucial. Entre sharenting (le partage excessif d’images d’enfants par les parents) qui surexpose les mineurs, l’analyse biométrique via IA, et la diffusion incontrôlée d’images manipulées ou réutilisées à des fins malveillantes, la loi doit s’adapter pour protéger les mineurs.
Mais comment le droit encadre-t-il aujourd’hui ces dérives ? Et surtout, quelle est la part de responsabilité des parents, des plateformes et des outils d’IA eux-mêmes ?
I. Le droit à l’image des mineurs face à la puissance des nouvelles technologies
1. Un droit à l’image encadré mais fragilisé :
En France, le droit à l’image relève du droit au respect de la vie privée, garanti par l’article 9 du Code civil et par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.
Il sera rappelé que les parents sont titulaires de l’autorité parentale sur leurs enfants mineurs. Selon l’article 372-1 du Code civil crée par la loi n° 2024-120 du 19 février 2024 : « Les parents protègent en commun le droit à l'image de leur enfant mineur, dans le respect du droit à la vie privée mentionné à l'article 9.
Les parents associent l'enfant à l'exercice de son droit à l'image, selon son âge et son degré de maturité. »
Le droit à l’image des enfants mineurs est donc un attribut de l’autorité parentale.
Cependant, les parents tendent par leurs propres actions à mettre en péril le droit à l’image de leurs enfants alors même que les parents doivent « protéger [l’enfant] dans sa sécurité, sa santé, sa vie privée et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. » (article 371-1 du Code civil modifié par la loi n° 2024-120 du 19 février 2024).
2. Le sharenting, un phénomène désormais critiqué… et encadré :
En 2024, la proposition de loi sur le “droit à l’image des enfants” a été adoptée, imposant aux parents de tenir compte de l’intérêt de l’enfant dans la diffusion de son image (cf. article 372-1 du Code civil).
Le Juge aux affaires familiales peut désormais interdire à un parent de publier certaines images si cela porte atteinte au développement de l’enfant. Par son pouvoir de décision, le Juge aux affaires familiales dispose désormais d’un réel rôle dans la protection du droit à l’image de l’enfant.
En cas d’abus manifeste et de non-respect du droit à l’image de l’enfant, on pourrait même imaginer pouvoir formuler une demande d’exercice unilatérale de l’autorité parentale sur l’attribut concernant ce droit à l’image.
II. L’IA : un outil, accélérateur des risques pour les enfants
1. IA et reconnaissance biométrique des mineurs :
Les IA de reconnaissance faciale peuvent identifier un enfant à partir d’une photo publiée des années auparavant sur les réseaux sociaux par leurs parents par exemple.
Cela facilite le traçage numérique à long terme : profils reconstitués à partir des réseaux sociaux, croisement avec d’autres bases de données (scolaires, médicales, etc.)
Il ne faut pas oublier que l’empreinte numérique est faite pour durer et qu’un simple poste peut vous suivre jusqu’à la fin de votre vie, ce qui n’est pas toujours positif.
2. Détournement et manipulation des images par IA :
Des images d’enfants publiées de façon innocente par les parents ou les grands-parents sur les réseaux sociaux peuvent être utilisées pour générer des deepfakes, parfois même à caractère pédopornographique, ce qui peut attiser la curiosité mal placée ou malsaine de certains utilisateurs.
Des IA de génération d’images ont déjà été exploitées à ces fins, détournant totalement le but de l’IA en un outil utilisé pour subvenir aux envies les plus sombres de certains individus.
Ce détournement de l’image innocente d’un enfant démontre à quel point l’esprit humain peut être perverti.
III. Quelle responsabilité juridique pour les parents, les plateformes et les développeurs d’IA ?
1. La responsabilité parentale : vers une redéfinition
Les parents sont aujourd’hui civilement responsables des actes causant un préjudice à leur enfant (y compris sur l’image).
L’usage excessif ou insouciant des réseaux sociaux par les parents peut donc engager leur responsabilité civile, voire pénale en cas de mise en danger.
2. Les plateformes et leur devoir de vigilance :
Le Digital Services Act (DSA) européen impose aux plateformes de réseaux sociaux (YouTube, TikTok, Instagram, etc.) une obligation renforcée de modération concernant les mineurs.
Elles doivent pouvoir retirer promptement les contenus nuisibles, et prévenir la diffusion de contenus générés ou analysés par IA mettant en scène des enfants.
Aujourd’hui, des vérifications d’âge ont notamment été mises en place sur les sites proposant des contenus pour adultes.
3. Les développeurs d’IA : vers une responsabilité algorithmique ?
Le règlement européen sur l’IA (AI Act) impose une classification des IA selon leur niveau de risque.
Les systèmes générant ou traitant des images de mineurs pourraient relever des systèmes à haut risque, impliquant des obligations de transparence, documentation, audits.
En conclusion, les risques liés à l’IA dans la vie numérique des enfants sont multiples : captation illicite, réutilisation abusive, fichage, voire exploitation. Le droit commence à réagir, notamment via la nouvelle législation européenne et les propositions de loi nationales, mais il reste une marge importante pour renforcer la protection juridique du mineur face à l’IA.
Les avocats spécialisés en droit de la famille, droit des technologies et droit pénal des mineurs jouent dès à présent un rôle essentiel dans :
- L’information des familles,
- Le contentieux (civile, pénal ou administratif),
- L’accompagnement dans la suppression de contenus ou la réparation de préjudices numériques.